P
arfois crainte, souvent méconnue, la CIRJ (Commission d’Infractions aux Règles du Jeu) joue pourtant un rôle essentiel dans l’organisation du hockey français. Chargée d’examiner les comportements contraires à l’esprit du jeu, elle veille à faire respecter les règles tout en gardant une approche éducative, surtout auprès des plus jeunes joueurs. Pour mieux comprendre son fonctionnement, son rôle et ses enjeux, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Christian Catil, président de la CIRJ Nord-Est, que nous remercions chaleureusement pour sa disponibilité et la clarté de ses explications.
Pouvez-vous nous expliquer, en quelques mots, le rôle précis de la CIRJ dans l’organisation du hockey mineur ?
La CIRJ (Commission d’Infractions aux Règles de Jeu) est principalement saisie lorsqu’un rapport d’incident lui est adressé par un arbitre suite à toute pénalité de méconduite pour le match. Cela peut concerner les joueurs bien entendu, suite à des infractions que l’arbitre aura estimées graves ou potentiellement dangereuses, mais également les officiels d’équipes qui auraient pu avoir une attitude incorrecte (gestes ou paroles) à l’égard du corps arbitral.
Dans l’organisation du hockey français, il y a trois niveaux en ce qui concerne les CIRJ :
- la CIRJ de la Ligue Magnus
- la CIRJ nationale, compétente pour tous les championnats nationaux (masculins et féminins), ainsi que les phases finales des championnats de France U20, U18, U15… ainsi que le Trophée Fédéral (hockey loisir)
- les trois CIRJ des zones régionales (Nord-Est, Sud-Est et Ouest)
Le rôle des CIRJ, selon un barème de sanctions (sportives et financières) fixé par les instances fédérales, est d’évaluer la gravité de l’infraction et de fixer une sanction adaptée, qui peut s’exprimer en nombre de matchs ou en durée (ferme et/ou avec sursis).
Comment s’organise concrètement le travail de la CIRJ après qu’une infraction est signalée ?
Le plus simple est de prendre un exemple concret : Dans un match U18 « Championnat de France », un joueur est sanctionné d’une 5’ + 20’ pour une charge dans le dos. Dans ce cas précis, l’arbitre n’a pas d’autre possibilité que d’infliger cette pénalité et de renvoyer immédiatement le joueur fautif au vestiaire. Cette pénalité est bien entendu inscrite sur le rapport de jeu (feuille de match) par les officiels de table de marque. À la fin de la rencontre, l’arbitre rédige une « notification de rapport d’incident ». Ce document identifie la rencontre, les équipes, les officiels de jeu, le joueur sanctionné et son club, la description succincte de l’infraction commise et indique si l’action a entraîné une blessure. Ce document est présenté à un responsable de l’équipe du joueur fautif, qui le signe et en garde une copie. Dans les 48 h, l’arbitre doit remplir un autre formulaire : le rapport d’incident proprement dit.
Dans ce document, il détaillera l’action (pendant le jeu, lors d’un arrêt de jeu, endroit de la patinoire, élan, force employée, volonté affirmée de charger, possibilité ou non de freiner ou de modifier la trajectoire, attitude globale du joueur depuis le début de la rencontre, lors de sa sortie de la glace, s’il s’est excusé ou non, son attitude envers les arbitres…). Il adresse ensuite copie de la feuille de match, de la notification et du rapport à la CIRJ de zone, qui est officiellement saisie du dossier. Le président de la CIRJ étudie les documents, réceptionne éventuellement différents témoignages, en particulier du joueur fautif, évalue la clarté des explications, leur cohérence, et si des incompréhensions subsistent, il contacte les arbitres ou divers témoins de l’action : c’est l’instruction du dossier. Le dossier constitué, il l’adresse aux autres membres de la Commission Nord-Est afin qu’ils aient le temps de l’étudier avant la réunion de la CIRJ, si possible dans la semaine qui suit le match, et au plus tard la semaine suivante. La CIRJ Nord-Est est composée de six membres (arbitre, joueur, dirigeant… tous licenciés FFHG et impliqués dans le fonctionnement fédéral ou de leur club) disséminés aux quatre coins de la zone. Les réunions de la CIRJ se font par visioconférence. C’est à ce moment qu’ils peuvent entendre en direct le joueur fautif (et/ou ses représentants) afin qu’il assure, s’il le désire, sa défense.
Les membres de la Commission débattent ensuite du degré de responsabilité du joueur et, en fonction de nombreux éléments à charge ou à décharge, fixent une sanction plus ou moins importante. La palette est large puisque, pour une charge dans le dos, le règlement fédéral fixe une sanction minimale de deux à trois matchs de suspension ferme (matchs de championnat) et au maximum… une suspension à vie ! Une pénalité financière est automatiquement fixée selon un barème fédéral. Ici, pour notre exemple d’une charge dans le dos en U18 amenant une suspension, elle est de 110 €. Le lendemain, le président et le secrétaire de la séance rédigent une notification de décision expliquant le pourquoi de la procédure et détaillant les éléments portés à la connaissance de la CIRJ pour prendre sa décision. Le secrétaire envoie alors la notification au club du joueur, à charge pour ce dernier de lui communiquer le document. Le joueur peut faire appel dans les sept jours de cette décision auprès de la Commission Fédérale d’Appel, qui, selon la situation et le système de défense du joueur, réduira la sanction, la maintiendra en l’état… ou l’augmentera ! L’appel n’est pas suspensif. À savoir également que la Commission peut tout à fait invalider un dossier, estimant que la décision arbitrale n’était pas adaptée, ou au contraire être saisie par un organe fédéral pour une action qui n’a pas été sanctionnée comme elle aurait dû l’être par les arbitres. Pour cela, la vidéo, de plus en plus présente dans les patinoires, est une aide précieuse.
La CIRJ est-elle avant tout une instance disciplinaire ou pédagogique ?
Je répondrai : « les deux, mon capitaine ! » À partir du moment où l’on considère que le sport est un apprentissage de la vie en société, comme partout et à tout moment, adultes et enfants peuvent être sanctionnés pour une faute commise, volontairement ou non. Autant que nous sommes, nous sommes convaincus que la sanction disciplinaire est pédagogique. Le cadre est fixé par les règles de jeu IIHF. Accepter de jouer = accepter le cadre, la règle, la loi. Et si parfois on a tendance à l’oublier, on est rattrapé par la patrouille ! Et si l’on ne veut pas être puni à nouveau, on réfléchira à deux fois avant de commettre la même infraction.
Comment les décisions prises par la CIRJ contribuent-elles à l’éducation des jeunes joueurs et à la prévention des comportements dangereux ?
Mes explications précédentes ont déjà bien répondu à cette question. Un automobiliste sait qu’on ne doit pas sortir un couteau ou tirer au revolver sur un conducteur qui ne lui a malheureusement pas laissé la priorité… et pourtant, cela arrive. Comme le rugby, le hockey sur glace est un sport où les contacts, parfois rugueux, sont autorisés… mais pas n’importe comment. De plus, les joueurs ont dans les mains un bâton qui, depuis la nuit des temps, a servi aux hommes pour taper, sur des objets, mais également sur leurs ennemis. Alors de là à ce que de vieux réflexes ancestraux (vive l’atavisme !) ressurgissent pour taper sur l’équipe adverse, il n’y a qu’un pas ! Et c’est là que les éducateurs sportifs interviennent : apprendre dès le plus jeune âge que la crosse ne doit pas être levée, que la palette doit rester sur la glace, et surtout qu’on ne s’en serve pas comme une arme. À travers les sanctions qu’elle prononce, la CIRJ a une fonction d’aide au respect des règles, de la loi, en fixant la limite. Mais bien entendu, cela ne suffit pas, surtout pour les jeunes enfants. La CIRJ explique dans ses notifications la raison de la sanction. Mais il est clair qu’elle compte énormément sur les entraîneurs du jeune hockeyeur ainsi que sur ses parents pour le lui expliquer en utilisant les mots et la manière adaptés à son âge et à sa maturité. Nous les encourageons à cela dans chacun de nos écrits. Le fait qu’il soit finalement rare de retrouver des dossiers concernant les mêmes joueurs au cours de la même saison sportive, voire sur plusieurs saisons, montre que le travail que nous faisons porte ses fruits.
Avez-vous constaté une évolution dans le type d’infractions commises au fil des saisons ? (violence, comportement, contestation, etc.)
Si les très mauvais gestes sont rares dans les petites catégories (U11, U13), il est vrai que nous observons très tôt des difficultés à accepter la frustration et l’autorité d’une manière générale. Cela amène une tendance pour les joueurs (même les plus jeunes) à vouloir de plus en plus se battre sur la glace. L’autorité et le respect de l’arbitre, à l’image de ce qui se passe dans le milieu scolaire ou tout simplement dans certains secteurs de la société, sont fortement mis à mal. Les jeunes (et parfois très jeunes) se permettent non seulement de critiquer ses décisions, mais également de le faire en utilisant un langage très ordurier. Ils ont alors beaucoup de mal à comprendre que le langage qu’ils utilisent entre eux, dans leur quartier ou dans leur cour de récréation, ne peut pas être utilisé face à un arbitre. Bagarres et comportements d’incorrection ont fleuri après le Covid et le confinement, qui a mis un temps le sport entre parenthèses. Nous avons eu l’impression que l’après-Covid a engendré un sentiment de liberté où la contrainte n’était plus de mise. La tendance générale d’une société moins contraignante n’aide pas les jeunes dans leur apprentissage de la vie en collectivité.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par la CIRJ dans son fonctionnement quotidien ?
Au XVIIᵉ siècle, Nicolas Boileau disait : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément … » Eh bien, ce n’est pas toujours le cas lorsqu’on lit les rapports des arbitres, principalement ceux émanant de certains arbitres club pour qui c’est peut-être la première fois qu’ils ont à rédiger des rapports, qui ont parfois des difficultés à maîtriser orthographe et syntaxe, qui restent très évasifs quant à la description des faits… et qui ne bénéficient pas de l’aide d’un référent arbitrage au sein de leur club ou de personnes pouvant les accompagner dans leur tâche. Ainsi, je dois régulièrement les contacter afin d’avoir non seulement tous les documents nécessaires à la constitution d’un dossier, mais également des précisions quant à l’infraction commise, permettant à la CIRJ de prendre la plus juste décision possible. Ce travail « d’instruction » du dossier est parfois long et fastidieux.
Comment se fait la communication entre la CIRJ et les clubs, les joueurs concernés avant ou après une décision ?
Elle se fait en général uniquement par l’envoi par mail de la notification et du formulaire d’attestation de purge que le club doit remplir et me renvoyer une fois les matchs purgés afin que je puisse débloquer la licence du joueur suspendu. Le blocage et le déblocage de la licence se font sur le logiciel Hockeynet. Des échanges téléphoniques sont également fréquents entre présidents de club ou entraîneurs/coach une fois la sanction prise. En effet, il n’est pas rare qu’une sanction soit considérée comme « trop sévère », surtout lorsqu’elle concerne un des meilleurs joueurs d’une équipe ! Mais en général, avec les explications, le ton reste cordial. Je rappelle également qu’un appel est toujours possible… mais sans garantie que la Commission Fédérale d’Appel ne prenne pas une décision encore plus sévère que celle prise par la CIRJ ! Quant à la relation CIRJ/joueurs, elle a lieu en général avant le passage du dossier en commission. Les joueurs (et/ou leurs représentants) minimisent souvent les faits, s’excusent et expliquent leur vision des choses. Nous tenons compte bien entendu de leur témoignage tout en considérant que les explications de l’arbitre, détenteur d’une autorité civile, prévalent.
Qu’aimeriez-vous faire évoluer dans le fonctionnement ou l’image de la CIRJ dans les prochaines années ?
Il n’y a pas grand-chose à dire sur une éventuelle évolution dans le fonctionnement de la CIRJ : le système est rôdé et n’a pas à être remis en question. Quant à son image, il est clair que nous ne sommes pas l’organisme le plus populaire, comme tout système répressif, surtout auprès des joueurs (et des responsables d’équipe) qui font l’objet de sanctions ! Nous assurons notre mission avec conviction, avec grand sérieux et la plus grande honnêteté possible, convaincus de l’utilité de notre travail.
Si vous deviez résumer la mission de la CIRJ en une phrase que tous les jeunes joueurs devraient retenir, quelle serait-elle ?
Jouez propre, sans violence excessive et gratuite, sachez contrôler vos gestes et paroles, respectez les règles et ceux qui sont chargés de les faire appliquer… et la CIRJ n’aura pas à s’occuper de vous !

